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Interview Julien PILLOT : la RSE, pourvu qu'elle soit authentique, est une démarche citoyenne avec la poursuite de l'intérêt général en ligne de mire.

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Interview
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Bonjour, pouvez-vous nous parler de vous ?

Economiste, enseignant-chercheur, conférencier et passionné des questions socio-économiques, je cherche à évaluer l'impact des innovations et des décisions politiques et entrepreneuriales sur les plans économique, social et environnemental. J'exerce mes activités de recherche et d'enseignement à l'Inseec Grande Ecole (Groupe OMNES Education) que j'ai rejoint en 2019 après une parenthèse de 2 ans dans l'industrie automobile et de 5 ans dans un cabinet d'études économiques. 

Pouvez-vous nous parler de votre entreprise ?

L'Inseec est une école de commerce française, membre de la conférence des grandes écoles.
Elle fait partie du groupe OMNES Education, qui est un des leaders européens de l'enseignement supérieur et de la recherche. Fort de 13 écoles couvrant des disciplines aussi variées et complémentaires que l'économie, la finance, le management, les sciences de l'ingénieur, la publicité et la communication, ou encore les sciences politiques, OMNES Education est un groupe pluridisciplinaire par essence.  J'y anime le pôle de valorisation de la recherche de la Faculté, et apporte également ma contribution au comité RSE du groupe.

Si nous devons expliquer concrètement la RSE et ses bénéfices à une personne qui n'y connait rien, on lui dit quoi ?

Comme son nom l'indique, la RSE, c'est la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Cela signifie que les entreprises peuvent chercher à avoir une action concrète et volontaire en faveur de la société dans son ensemble. Elles doivent toujours assurer leur rentabilité économique, sans laquelle rien n'est possible, mais doivent également veiller à s'inscrire dans une démarche respectueuse de l'environnement et des Hommes (à commencer par ses propres salariés), mais aussi s’astreindre à une démarche plus globale d'éthique des affaires vis-à-vis de ses parties prenantes. 
Nous passons toutes et tous un temps considérable dans ces lieux que l'on nomme "entreprises". De plus, ces entreprises, peu importe la nature de leur activité, sont par essence des lieux de transformation : elles mobilisent donc des intrants et de l'énergie pour produire ce qu'elles ont à vendre. Compte tenu de leur impact sur la société et les Hommes qui la composent, mais aussi sur l'environnement, si nous veillons à ce qu'un maximum d'entreprises adoptent une démarche RSE authentique, alors nous nous donnons une chance de réduire les externalités négatives liées aux actions humaines, avec des bénéfices potentiellement importants, par exemple en matière de santé publique ou de réduction des émissions des GES et autres polluants. Bref, la RSE, pourvu qu'elle soit authentique, c'est une démarche citoyenne avec la poursuite de l'intérêt général en ligne de mire.

Dites-nous franchement, la RSE est-elle un truc de grands groupes et de consultants ?

Dans l'absolu, non : toute entreprise, peu importe sa taille, sa raison juridique ou son secteur d'activité, peut - et devrait - s'inscrire dans une démarche RSE. Et chaque entreprise a les moyens de le faire, car il n'est nul besoin de grands investissements, ou de connaissances extraordinaires pour faire en sorte d'avoir un impact positif à son échelle. C'est important de le rappeler car, si on se réfère aux derniers travaux scientifiques sur la question - et que l'on apporte quelque crédit à la méthode d'évaluation, nécessairement complexe pour ce qui relève de pratiques parfois difficilement mesurables - une démarche orientée vers la RSE a une contribution positive à la performance de l'entreprise. Reste que l'enquête de 2019 de l'Insee, s'appuyant sur la plateforme RSE mise en place par France Stratégie, montre que les enjeux RSE n'ont pas encore suffisamment pénétré les PME.
Il est vrai, également, qu'en matière de RSE, les grands groupes sont concernés au premier chef. Déjà, du fait de leur taille, et souvent de leur impact sur la société (qui en découle), ils ont une responsabilité toute particulière... mais aussi les moyens de faire bouger les choses à plus grande échelle. Ils ont aussi accès à des bases de connaissances économiques, technologiques ou juridiques qui leur permettent d'aller un peu plus vite et un peu plus loin sur ces questions. Et puis, ces grands groupes subissent aussi des pressions particulières, qu'elles proviennent de l'extérieur (les règlements et normes imposés par les autorités publiques, les nouveaux critères de la finance et l'assurance, la pression des consommateurs) ou de l'intérieur (employés lanceurs d'alerte, talents qui cherchent des employeurs responsables...). Autrement dit, ces groupes sont davantage exposés aux risques liés à une non-conformité manifeste aux critères RSE... ce qui peut les inciter à agir plus vite, et de façon plus décisive. Il n'en demeure pas moins qu'il nous convient de veiller à ce que ces grands groupes, qui sont aussi des experts du marketing et de la communication, s'engagent dans des démarches RSE authentiques et ne versent pas dans l'éco-blanchiment (greenwashing).

Comment observez-vous l'adoption de la RSE en entreprise sur les dernières années ?

La RSE prend de plus en plus de place dans le quotidien des entreprises, de toutes les tailles, et de tous les secteurs d'activité. Il faut dire que la prise de conscience des impasses de nos trajectoires économiques, sociales et climatiques, se fait de plus en plus forte au sein de la société. Les catastrophes climatiques se multiplient, la biodiversité recule, les périodes de sécheresse s'allongent, l'énergie - plus rare - se renchérit... tous ces phénomènes qui étaient prédis de longue date par la communauté scientifique deviennent crédibles, car visibles au yeux de la plupart de nos concitoyens. Les pressions, qu'elles viennent des marchés (notamment sur la partie financement ou assurance), des gouvernements ou des ONG, ou même des citoyens activistes toujours plus enclins à "désobéissance civile", se multiplient. De plus en plus d'entreprises, de toutes tailles, éprouvent également des difficultés à recruter et fidéliser des talents quand elles ne font pas la démonstration d'actions concrètes en faveur de l'environnement, d'une certain éthique des affaires et ne mettent pas en place un cadre professionnel épanouissant. C'est ce contexte, autant que cette prise de conscience de plus en plus partagée, qui pousse les entreprises à s'intéresser davantage à la RSE. En témoignent, d'ailleurs, des cabinets de conseil spécialisés qui fleurissent pour accompagner les entreprises dans leurs stratégies RSE. De même que des programmes de formation dans les grandes écoles de commerce qui veillent à ce que ces dimensions soient intégrées à l'offre de cours. Nous-mêmes, chez OMNES Education, nous avons engagé un vaste chantier visant à la fois à créer des programmes multidisciplinaires entièrement dédiés à la RSE et au management de la transition, mais aussi à inclure ces notions à l'ensemble de nos formations déjà existantes. Cette transformation engage également la recherche scientifique, avec une accélération de la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans nos axes de recherche.

En France, dans quel pilier de la RSE sommes-nous le plus en retard dans les PME ?

Faute d'étude scientifique ayant été portée à ma connaissance, je ne peux répondre à cette question. Mais si on se réfère à une enquête menée par la BPI en 2018, sur un échantillon de 1150 dirigeants, on serait tenté de dire que les PME/ETI seraient de bons élèves en matière de gouvernance ouverte et de conditions de travail, mais auraient encore du mal à pleinement investir l'axe environnemental.

Avez-vous des arguments à donner aux managers qui veulent inciter leur Direction à enclencher une démarche RSE ?

J'en aurais trois : 
 1) L'argument massue : les études scientifiques mettent en évidence un lien peu contestable entre la mise en place d'une démarche RSE authentique et performance pour l'entreprise.
 2) L'argument pragmatique : les conditions de marché, mais aussi la réglementation, vont tendre à la sélection des entreprises les plus vertueuses en matière de RSE. Une entreprise qui investit aujourd'hui dans sa stratégie RSE est une entreprise qui investit dans son espérance de vie.
 3) L'argument citoyen : s'engager dans une démarche RSE authentique, c'est œuvrer en faveur de l'intérêt général.

Auriez-vous des exemples d'actions impactantes qui ont été mises en place dans une PME ?

En tant que spécialiste du numérique, je m'intéresse particulièrement aux entreprises qui imaginent des procédés qui permettent de réduire l'empreinte environnementale des services digitaux. 
Je pourrais ainsi évoquer la jeune entreprise du Morbihan, Stratosfair, qui développe des data centers locaux, autonomes en énergie d'origine 100% renouvelable.

Un petit mot pour terminer ?

La France dispose d'un tissu de PME incroyablement dense et dynamique. Il est illusoire de penser parvenir à engager une transition environnementale et sociale sans leur concours actif. C'est dans les entreprises que se bâtiront les solutions qui permettront de bifurquer, vers un système économique revu et corrigé, mais surtout enfin soutenable !